Compagnie tourner la page
La Théorie de l'enchantement
THÉÂTRE
Avignon OFF, « la théorie de l’enchantement » au théâtre du Train Bleu
10 JUILLET 2019 | PAR ANNE VERDAGUER
Y aurait-il donc une théorie qui régirait tout rapport humain comme l’on parlerait de stratégie marketing entre un vendeur et son client? C’est ce qu’explore l’auteur et metteur en scène Pascal Reverte dans La théorie de l’enchantement avec finesse et intelligence. Une histoire pour tous ceux qui vont au théâtre. Ou qui ont des amis. Ou qui veulent acheter une cuisine.
Fabrice Hervé et Vincent Reverte sont deux amis, à la scène comme à la ville. Mais leur parcours ont un jour bifurqué, l’un est resté comédien, l’autre est devenu vendeur de cuisine. Pour manger, bien sûr. Depuis, leur rapport a changé du tout au tout. Il y a eu trahison. Mais de qui? Est-ce Vincent qui envie Fabrice ou Fabrice qui admire Vincent? Ou au contraire sont-ils plein de rancoeur l’un envers l’autre? Toujours est il qu’ils vont tenter de monter une pièce ensemble, et qu’ils ne sont d’accord que sur le titre, La théorie de l’enchantement. Cette théorie marketing existe vraiment. L’art de l’enchantement a été écrit par un américain, Guy Kawasaki, gourou de la Silicon Valley, pour décrire, en résumé, la façon d’amadouer le client. Une théorie qui part du principe que tout rapport est régit par le marchandage et la loi du marché. Or il n’est pas seulement « question de relation commerciale entre un acheteur et un vendeur mais d’un échange humain » précise le metteur en scène Pascal Reverte. La théorie de l’enchantement parle donc « du plaisir de la complexité du rapport à l’autre ».
Attirer la sympathie donc, pour vendre. Une théorie qui devient concrète le jour où Fabrice vient acheter une cuisine à Vincent. Dans son décor de Formica, celui ci fait un peu pitié. Surtout quand il sort comme un diable de sa boîte pour faire la retape de son magasin. Un dialogue s’instaure alors entre les deux hommes, et de manière plus large, entre l’art et le commerce avec un grand A et un grand C. Et les frontières sont beaucoup plus floues qu’imaginées. Etre acteur, n’est ce pas autant jouer un rôle et mentir que vendre une cuisine ? Quelle est la part de sincérité de l’acteur et du marchand? Quand Fabrice devient directeur de théâtre, et qu’il doit lui même acheter des spectacles, la frontière se fait encore plus ténue. Ne font-ils pas finalement le même métier pour attirer le chaland, et vendre du rêve?
Le spectacle moque les procédés qui sont ceux du théâtre d’aujourd’hui, en se jouant des codes et de la temporalité, de la vidéo, des artifices et même de la nudité (procédé pour vendre s’il en est!). Ce n’est d’ailleurs pas vraiment de l’histoire de Fabrice et Vincent dont il est question (ils ont inversé leurs deux histoires dans le spectacle pour entretenir un peu plus la confusion) mais d’une répétition, ou plutôt d’une conférence qui n’en finit pas de recommencer, et de deux amis qui n’arrêtent pas de se brouiller et se réconcilier. Comme dans les poupées russes, la théorie de l’enchantement dévoile à ceux qui voudront bien s’y frotter, un mille-feuille réflexif sur les idées reçues qui entourent les professions de commerçant et d’artiste, sur la fragilité aussi de la création et la nécessité de protéger ce qui peut l’être encore des lois du marché. Un spectacle nécessaire !
LA GAZETTE DES FESTIVALS
La Théorie de l’enchantement
Par Mathias Daval
8 juillet 2019
A l’heure où le festival OFF d’Avignon annonce plus de 1 600 spectacles et où l’hyper-marchandisation du spectacle vivant suce l’énergie des compagnies plus rapidement que le soleil du sud, le projet méta-théâtral de Pascal Reverte tombe à pic. Sous la forme d’une vraie-fausse conférence, en vérité un dialogue en boucle, les deux comédiens posent avec justesse les enjeux du commerce, au sens le plus étymologique, s’appuyant sur le fil rouge offert par l’évocation de « La Solitude des champs de coton » de Koltès. Si l’ensemble reste beaucoup trop sage, il est toutefois servi par une scénographie ingénieuse et un sens du rythme minutieux. Il propose quelques séquences drolatiques sur l’envers du décor de la production théâtrale dans nos sociétés capitalistes.